Cahier N° 26  

 

 

Nous avons quitté l'île de la Gomera aux Canaries dans l'après midi du 30 novembre 2004. La prochaine escale se trouve de l'autre coté de l'Atlantique en  Martinique.
L'équipage de base de Banik est renforcé pour l'occasion par Gibé notre fils qui a presque 25 ans. Nous avons traversé en 19 jours et quelques heures ce qui est pas mal pour un lourd voilier en acier. Nous avons du gérer notre fatigue et les temps de veille pour faire marcher le bateau et assurer la sécurité. Nous avons donc pris des quarts à tour de rôle.

 

Série   "Pratique" : Comment on organise les quarts pendant la transat.

 

Au départ nous longeons la côte de l'île de Gomera. Il n'y a pas vraiment de quart organisé. Tout le monde est sur le pont. Anik reste même un bon moment à la barre plutôt que de brancher le pilote automatique ou le régulateur d'allure. Cela permet de réagir vite quand un bateau nous croise ou le temps que nous réglions les voiles... Et ça occupe l'esprit pour combattre le petit stress incontrôlable quand on se jette pour 3 semaines sur l'inconnu du grand océan.

Par contre, pour la nuit, un système de quarts organisés est préférable à un système  où chacun fait selon son humeur et son état de fatigue.
Avec des périodes de veille et de sommeil forcés, on se sent beaucoup moins fatigué le matin quand toute la famille se retrouve sur le pont avec sa tasse de café ou de chocolat.

Nous étions trois à bord, voici comment nous nous étions organisés, A l'usage ce découpage s'est révélé fort  efficace et agréable pour nous

Anik a pris le quart de 20:00 heures à minuit puis elle est allée se coucher pour sept heures de suite. J’ai pris le quart de minuit à trois heures. Ça ne fait que trois heures de veille  mais mon sommeil est coupé en milieu de nuit, il faut bien une compensation. Gibé qui vient de dormir durant sept heures assure un quart qui dure 4 heures, de 3:00 heures à 7:00 heures du matin.

Quand il fait jour, il n’y a pas de quarts organisés. Chacun vaque à ses occupations : pèche, cuisine, rangement, bronzage, nettoyage, entretien du matériel, navigation, écriture, lecture, réglage du bateau… et on jette un œil à l’horizon pour éviter un éventuel cargo ou se préparer à encaisser un grain qui arrive.

Le lendemain on décale d’un cran les personnes de quart. Comme cela nous faisons chacun à notre tour, au fil des jours, les quarts faciles et les quarts durs et il n’y a pas de jaloux.
Le décalage se fait en remontant le temps. Celui qui a fait le dernier quart, fait celui du milieu de nuit le lendemain. Celui qui a fait le quart du milieu de nuit fait le quart du début de nuit le lendemain. Celui qui a fait le premier quart fait le dernier le lendemain.
Si le décalage se faisait dans l’autre sens, la personne qui a assuré le dernier quart et qui s’est donc levée à 3:00 heures du matin, devrait alors assurer le premier quart de la nuit suivante et ne se coucher qu’à minuit. Ça fait un peu long sans dormir.

3 ou 4 heures seul durant la nuit cela peut paraître un peu long. On nous demande souvent ce que l'on peut bien faire pour ne pas nous ennuyer.

Il n'y pas de règles, cela dépend des événements et de l'état de fatigue de l'homme (ou de la femme) de quart.

Certaine nuit on s'allonge à plat sur un petit matelas étalé sur un banc du cockpit. Les yeux grands ouverts nous cherchons les étoiles filantes. Quand on voit la première on fait un voeu comme le veut la tradition. A la deuxième et à la troisième on fait aussi un voeu. Il a fallu chercher un peu une idée pour la quatrième étoile. L'imagination a failli devant les centaines de traits lumineux qui percent l'obscurité galactique... Mais quel spectacle.

Quand il lui prend envie, l'homme de quart descend dans le carré pour grignoter du chocolat ou du muesli. Pour ma part j'adore me préparer une soupe veloutée de tomate. Deux sachets de poudre dans un grand bol d'un demi litre d'eau bouillante. J'y trempe des tartines beurrées. Il n'y a que la nuit en mer que je mange ça.

 

 

 

Skipper affamé se jetant sur un bout de pain avant que sa soupe ne soit chaude.

 

A minuit il ne faut pas oublier de remplir le livre de bord avec toutes les informations concernant la navigation.
Puis on marque le point sur la carte. On visualise alors la route que l'on a parcourue depuis le point de midi.

 

 

Si on en a assez de compter les étoiles ou que le ciel est bouché, l'homme de quart s'installe dans sa couchette avec un bon livre. Auparavant il fait un tour d'horizon attentif et lent pour détecter une éventuelle présence. On estime qu'un rapide cargo va mettre 20 minutes à sortir de l'horizon pour nous percuter. Toutes les 20 minutes il faut donc poser le livre et sortir sur le pont pour observer les alentours. Il faut attendre quelques minutes que les yeux s'habituent à l'obscurité. Les jumelles permettent de voir beaucoup mieux même la nuit.


On est censé allumer les feux de route toute la nuit pour être repéré par les autres bateaux. C'est évident pour la sécurité mais ça consomme du courant électrique et si nous n'avons pas beaucoup d'énergie nous préférons la destiner au pilote électrique qui barre le bateau plutôt qu'à une grosse ampoule en tête de mat. Quand il y a une personne sur le pont, on coupe les feux. Si l'homme de quart descend pour lire pendant 20 minutes, il rallume les feux.

Si l'homme de quart sent ses paupières s'alourdir, son esprit s'égarer dans les brumes ensommeillées, il lui reste une arme secrète: Le minuteur de cuisine. On règle l'engin sur 20 minutes et on le place sous l'oreiller près de son oreille. Il faut qu'on l'entende, mais il ne faut pas réveiller tout l'équipage. On sombre alors dans une béate torpeur qui s'arrête à la seconde même où on se sentait partir dans les bras de Morphée. Il est C.. ce minuteur, on vient de le mettre et il sonne déjà. C'est en regardant l'horloge du bord qu'on constate qu'on a dormi à fond pendant au moins 19 minutes.   Ça parait peu, mais ces petits moments de sommeil intense suffisent largement pour se sentir reposé.


FUMER TUE  Mais parfois ça aide à garder les yeux ouverts vers 4 heures du matin

 


Quel bonheur quand le quart se termine: On peut s'affaler dans une couchette et dormir, enfin.

Quand je suis de quart durant la dernière partie de la nuit et que j'ai le courage, je prépare un pain. C'est alors la bonne odeur de la fin de cuisson qui réveille l'équipage en venant leur chatouiller les narines. C'est une journée qui commence fort bien et cela met tout le monde de bonne humeur.

 

Anik, qui fait le dernier quart ce jour là, a mis les deux pains à cuire. Le reste de l'équipage ne va tarder à sortir des couchettes

 

Lors de notre première transat entre les îles du Cap Vert et Grenade en 1991, nous avons navigué de concert avec le voilier HEDONIS de nos amis suisses Yves et Anne Laure. Nous avions mis au point un système particulier qui nous permettait de gagner du temps de sommeil et de l'énergie électrique:
Hedonis se plaçait devant Banik et allumait son feu de mat. Banik le suivait dans le noir tous feux éteints et en réglant sa vitesse et son cap sur le bateau de tête. Sur Banik on organisait les quarts, sur Hédonis tout le monde dormait à poings fermés pendant un temps énorme correspondant à la moitié de la nuit. Si on remarquait quelque chose d'anormal il nous suffisait de crier un coup dans la radio VHF pour réveiller nos amis.
6 heures après, on changeait. Banik allumait son feu, Hedonis éteignait le sien et se plaçait derrière nous.
Le temps de la nuit était divisé par deux, le temps de sommeil était doublé.

   
L'aube est là. Le soleil éclaire l'horizon vers l'Est... et les visages aussi.
Une nuit vient de s'achever. Chacun a pris son tour de garde et tout s'est bien passé.

 

 

 

 

 

Durant la journée il n'y a pas de quart organisé. Chacun est attentif en permanence à ce qui se passe dehors et à la bonne marche du bateau.

Au cours de cette dernière transat nous n'avons pas vu grand monde. Seulement 3 cargos, dont un qui est passé très près (il suffit d'un pour créer l'accident). Il faut dire que nous ne naviguions pas sur les routes commerciales classiques. Nous avons également vu 3 voiliers. Ça semble peu car il y en a des milliers qui traversent à la bonne saison. Le septième bateau rencontré avait toutes les allures d'un  petit bateau de pêche. C'est étonnant à cet endroit.

 

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