Cahier N° 116

 

 

Nous sommes venus à Wali spécialement pour assister au "saut du Gol" qui est une cérémonie unique au monde et surement la plus spectaculaire de tout le Pacifique.  Nous avions vérifié que notre passage sur cette île se ferait à la bonne période car l'évènement n'a pas lieu toute l'année. Ce rituel se déroule en avril et mai, époque de la maturité des ignames. Cette racine est très importante dans la vie des Ni-vans, encore plus que la pomme de terre pour nous... et pourtant on est Ch'ti.

 

Découverte:  Wali sur l'île de Pentecôte au Vanuatu.

Voir la carte du Vanuatu

"Le 22 mai 1768, à l'aube du jour, nous courions vers l'Ouest, on aperçut de l'avant à nous une haute et longue terre. Lorsque le soleil fut levé, nous aperçûmes deux iles. La plus méridionale reçut le nom du jour: île de Pentecôte. La seconde, l'instant ou elle s'est montrée à nous l'a fait appelée Aurore."

Bougainville, l'auteur de ces lignes n'a séjourné que quelques jours dans cette région. Il n'a pas rencontré les habitants de Hat Ragha, le nom originel de l'île.

Pentecôte est une île luxuriante et montagneuse. Toute en longueur, 60 kilomètres sur un axe Nord - Sud. La chaine montagneuse dominée par le Mont Vulmat (947 m) délimite la côte Est humide et pluvieuse de la côte Ouest plus tempérée. C'est cette côte Ouest que nous avons parcourue.

 

Infos nautiques:

Arriver au village de Wali ne pose aucune difficulté de navigation. On longe la cote qui ne présente pas de danger et on jette l'ancre dans 6 mètres sur un fond de sable en face du village. Evidemment on fait cela avec un vent de secteur Est; mais c'est le vent dominant.

Nous sommes arrivés par le SW ( flèche orange) en venant d'Ambrym où nous avions fait une courte escale d'une nuit. Nous avons atterrit sur la pointe Gousounonla puis nous avons traversé la baie Homo où viennent  mouiller généralement les voiliers de passage. Nous en avons vu deux en effet ce jour là, mais nous étions tout seul à Wali qui est hors des guides et c'est tant mieux, nous avons eu un contact plus vrai avec les habitants.

En A,  la pointe Gousounonla, en B la petite île que l'on voit sur la carte à la pointe Dupuy. Notre trace montre une route qui passe à l'intérieur de l'île mais nous sommes bien passés à l'extérieur de l'île... Entre le point A et le point B, c'est la baie Homo avec le village de Delap

Télécharger nos traces de navigation:

Télécharger les fichiers "Traces"  qui peuvent ensuite être utilisés avec un logiciel comme Open CPN.
(Explications sur le téléchargement à la fin de la page "carte du Vanuatu")

Cliquez ici pour charger la trace permettant d'arriver à Wali. Vous voyez qu'il ne faut pas se fier à la carte car selon elle nous avons mouillé à l'intérieur des terres à  la position: 15°55,49S - 168°11,18' E     

 

Le village des enfants:

Ce sont généralement les enfants qui viennent nous accueillir quand on débarque en annexe sur la plage. Pas besoin de mettre le moteur hors  bord et de troubler la quiétude de l'endroit. La mer est calme et la distance à faire en ramant est ridicule.

  Nous comprenons maintenant ce que sont ces taches de toutes les couleurs que l'on voyait du bateau sur la plage. C'est du  linge qui sèche au vent et au soleil. Posé sur les galets, il s'imprègne en plus de la bonne odeur iodée.

S'il y a du linge qui sèche, c'est qu'il y a des femmes pas très loin...

 

     
  Anik les a vite trouvées près des premières maisons du village. celles qui sont sur le bord de la route en terre qui longe le rivage.

C'est l'occasion d'échanger quelques mots. Dans ce village de Wali on parle plutôt anglais avec les étrangers. D'autres villages sont plutôt francophones.

Nous comprenons qu'il serait bien que nous voyions d'abord le chef pour faire la coutume, rendre nos hommages en quelques sorte.  Mais pour le moment le chef fait la sieste. Nous attendrons donc sur la plage...

     
L'homme arrive enfin. Il marche doucement en s'appuyant sur un bâton sculpté. Nous n'avons pas pu lui demander si c'est simplement une jolie canne ou si ce bois est l'instrument qui représente son pouvoir. Le chef n'est pas très loquace. J'espère qu'ils ne sont pas allés le réveiller pour nous ce qui expliquerait, sinon sa mauvaise humeur, tout au moins sa réserve.
Je parle doucement car son anglais est simple (ou bien est ce ma prononciation?). Je lui explique que l'on vient de très loin pour rencontrer les gens de son village, que nous sommes très intéressés par le saut du Gol que nous connaissons depuis
 
longtemps dans les livres. Que nous serions très    
honorés s'il voulait bien nous autoriser à assister à la prochaine cérémonie... 
Le patriarche opine de la tête quand il comprend chacune de mes phases mais il ne parle pas beaucoup... Alors je fais la conversation presque tout seul... Je finis par sortir les quelques petits cadeaux qu'il est de bon ton d'apporter quand on rend visite à quelqu'un (on fait la même politesse chez nous). Une serviette éponge, une petite lampe frontale bleue avec des piles neuves... Ca lui plait bien la lampe, surtout qu'il y a une position clignotante...
Il finit par nous donner l'autorisation de circuler dans tout le village et aussi d'assister à la prochaine cérémonie du Gol.
 

Le saut du gol

Légende: Le premier saut fut celui de la femme de Tamalie qui refusant de consommer le mariage tenta de trouver son salut dans la fuite. Elle fut poursuivie par son mari évidemment. Voulant lui échapper, elle monta au sommet d'un banian puis se jeta dans le vide au moment où son mari allait l'attraper. Tamalie la suivit, mais se tua dans sa chute alors qu'elle, les deux pieds attachés par des lianes (un peu comme le saut à élastique) se releva sans mal.  Depuis, cette coutume est réservée aux hommes

Signification: Les hommes de Pentecôte effectuent ce saut en mémoire de Tamalie, victime de la ruse de sa femme. Ils se jettent la tète la première chacun des  pieds attachés à une lianes (qui n'est pas du tout élastique).  Ses sauts sont aussi très importants pour assurer une bonne récolte d'ignames l'année suivante. D'après la coutume, les hommes fécondent la terre en touchant le sol de leurs épaules.

Mise en œuvre: Tous les ans, les hommes reconstruisent  une tour en bois et en lianes .  Ce travail prend en général un mois et ils doivent appliquer strictement les règles de la coutume durant tout ce temps pour éviter l'accident mortel. La coutume définit la méthode de construction, par exemple ils s'appuient sur un grand arbre élagué.  La coutume impose aussi des règles de vie en interdisant tout contact féminin au groupe d'hommes tout le temps de la construction de la tour. La tour peut atteindre jusqu'à 35 mètres de haut. C'est très impressionnant vu d'en haut.

La tour est construite sur un tertre. Le terrain au pied de la tour est nettoyé et amolli. C'est une terre dépourvue de pierres et qui est retournée avant les sauts. Le maitre de la tour sautera en dernier et il guide les hommes qui auront l'honneur de sauter avant lui.  Tout le monde est solidaire et se donne des conseils  mais chaque homme est cependant responsable de ses propres lianes et de son tremplin.  Les mois d'avril et de mai sont la période de l'année où les lianes ont atteint le maximum de leur solidité.

Il n'y a pas que les hommes qui sautent de la tour la tête la première. Le saut du Gol est un passage important dans la vie d'un garçon. Les enfants s'entrainent progressivement en sautant des plate formes les plus basses. Cérémonie initiatique, elle permet aux jeunes garçons tout juste circoncis d'entrer dans la communauté "mâle". et ils s'élancent,  comme leur père, d'une hauteur de 10 à 20 mètres. Ceux là auront appris aussi à construire la tour comme leurs ancêtres. Ils ont respecté strictement la tradition et ils sautent avec confiance. Cette confiance est un hommage à la perfection des règles de la coutume.

Notre saut du Gol:  Cela fait deux jours que nous sommes à l'ancre devant le village et en nous levant ce matin nous sommes excités à l'idée de voir enfin ce fameux saut. De jeunes adolescents seront devenus des hommes ce soir. Nous sommes honorés aussi que le chef nous a permis d'assister à la cérémonie. Nous ne savons pas trop comment ça va se passer et nous préparons à tout hasard quelques petits cadeaux  qui feront plaisir à ces jeunes après l'épreuve.

Bien avant l'heure prévue, nous sommes sur la route qui chemine le long de la plage de galets bordée de cocotiers.

Un pickup s'arrête près de nous. Nous reconnaissons Louis qui avait fait l'interprète auprès du chef. Il nous fait signe de le rejoindre et de monter dans la benne. Ca nous interpelle car nous avions compris que nous irions à pieds le long du chemin connu que des villageois et qui traverse les cocoterais et les jardins jusque dans la jungle proche où ils ont construit la tour à l'abri des regards. Luis nous explique alors que la cérémonie est reportée et devant notre mine consternée il nous rassure en souriant.
Montez avec nous dans la benne, nous allons à l'aéroport. Il y a un avion de touristes qui va s'arrêter deux heures pour qu'ils découvrent l'île. Il y a avec nous quelques bons sauteurs qui vont leur faire une démonstration  à proximité du terrain d'aviation où nous avons construit une tour. C'est très bien. La tour est encore plus haute que celle du village. Bien sur il faudra payer quelque chose mais on vous y emmène gratuitement et pour vous ça sera moins cher...

Là c'est le coup de massue. Tout le charme est détruit.

Quand nous disions dans le cahier 112 sur Tanna que petit à petit les traditions se perdent ou bien ne sont plus entretenues que pour le folklore... 

Nous refusons de cautionner cette dérive.

Nous avons refusé d’aller en taxi brousse gratuit jusqu’à l’aéroport pour assister au saut du gol. Les quelques sauts qui ont lieu à cet endroit amusent les touristes. Il n'y a plus d'authenticité dans ces exploits. De plus ce qu'ils font n'est pas absolument sans risque. C'est une démonstration qui serait interdite en France. Dans notre imaginaire, ce n'est pas une attraction. Nous ne pouvons pas cautionner ce genre de chose. Que nous soyons invités (même avec une participation (si on veut, sous forme de cadeaux)  à une cérémonie coutumière qui fait partie de la tradition depuis des siècles et qui aura lieu de toutes les façons sans nous... C'est un honneur que nous apprécions et un moment fort à vivre qui restera dans nos mémoires. Mais il est impossible d'accepter de nous divertir d'un spectacle où les acteurs risquent leur vie sans qu'il n'y ait d'autres motivations que celui de l'argent.

nous risquons de ne pas voir du tout cette cérémonie car ici au Vanuatu quand on nous dit ca se passera plus tard, Ca peut être cet après midi ou bien dans 2 semaines ???

Nous en parlons au chef  via un autre interprète improvisé. Le chef donne l'air de ne pas tout comprendre, mais ensuite il parle lentement à un jeune qui nous suit partout depuis que nous sommes là.

C'est Nicholson. Il parle un  anglais exotique mais avec les mains et beaucoup de sourires on arrive à se comprendre. Le chef lui a dit de nous conduire à la tour du village. Le chef est heureux quand il voit nos mines réjouies.

Le jeune Nicholson a toujours sa machette à la main, il nous fait signe de le suivre. Nous empruntons un chemin de terre qui sort du village...

 

 

C'est très vite la jungle, cette végétation qui essaye de reconquérir du territoire après que les hommes ont brulé la foret primaire. Certaines feuilles sont énormes, on pourrait se faire un drap d'une seule.

 
     
  Mais ce n'est pas cela qu'Anik regarde...

La tour est apparue tout à coup.

     
 
     
  Nos jeunes amis se précipitent. C'est à celui qui arrivera le premier...
Pas au pied de la tour...
en haut.

Aucun de nos petits guides n'avait déjà passé la cérémonie officielle du saut du Gol. Ce sont encore des enfants. Mais tous ont l'habitude de monter sur la tour. Les instructeurs les forment au choix des lianes, à la fabrication des tresses de liaisons, à l'entretien de la tour. .

Ils apprennent très jeunes à sauter de toute petite hauteur d'abord puis progressivement la difficulté augmente. En fait on ne nous a jamais parlé d'accidents graves. Il font tout pour les éviter ce qui est logique.

 

Et oui je suis monté au sommet pour essayer de sentir les émotions des hommes qui sautent. La tour du village de Wali ne fait peut être pas 35 mètres de haut mais être à son sommet c'est très impressionnant. J'ai écouté attentivement le bruit du vent, car il est possible, parait-il d'y entendre le cri déchirant de Tamalie, la victime du stratagème 
 

 

Nos petits copains s'élancent à l'ascension de la tour. Regardez dans le cercle jaune et si vous ne voyez pas bien il y a l'agrandissement. 

Plus haut, au dessus du petit bonhomme entouré de jaune sur la photo ci contre, à gauche on voit le corps et la tête d'un autre...

Et plus haut, voir  dans le cercle orange ci dessous

J’ai pu monter sur la tour avec les gamins du village habillés d’un étui pénien (les gamins, pas moi) . C'est un privilège exceptionnel  qui n'a pu se faire que parce que nous n'étions accompagnés que d'enfants et que ceux ci avaient comme instruction du chef de nous amener à la tour. Que j'y monte ou pas ca ne leur paraissaient pas important, c'est quelque chose qui est très naturel à faire pour eux.
Des adultes qui cultivaient des jardins à proximité sont arrivés. Ils n'en revenaient pas que je soit monté la haut. Ils voulaient que je redescende lentement, ils craignaient qu'il ne m'arrive quelque chose... C'est vrai que je n'avais pas eu l'instruction de la coutume ni reçu les rituels préparatoires. Il ne m'est cependant rien arrivé de mal et je ne regrette pas cette découverte beaucoup plus authentique et surtout  plus impressionnante encore de monter soi même en haut d’une tour fait de bout de bois lié par des petites lianes qui cassent, que de voir un autre gars sauter. 

 

La tour est construite avec de nombreuses branches emmêlées les unes aux autres de savante manière. Quelques lianes tressées servent de liens pour tenir les plus grosses entre elles. toute la structure est assez rigide même si je sentais que l'ensemble bougeait un peu quand une dizaine de loupiots se mettaient  à l'escalader.

 
     

Presque au sommet de la tour, on dépasse déjà de beaucoup les plus hauts arbres et cocotiers environnants. Par dessus leurs cimes, je voyais au loin le bleu de l'océan

 
     
  Voici une liane qui sert à bloquer la chute (de parfois une trentaine de mètres de haut) c'est une grosse tige végétale et dure. On effiloche le bout pour constituer des lanières plus souples qu'il est alors possible de nouer aux chevilles
     
   

Nous ne l'avons pas vu nous même, mais nous vous offrons tout de même un saut du Gol qui a eu lieu un an auparavant sur cette île de Pentecôte.

 

La photo a été prise par Ute et Jorge (ci dessous) un couple ami qui navigue depuis de nombreuses années sur leur magnifique voilier " Miami".

     
  Sur le chemin de retour dans la jungle, nos jeunes amis nous invitent à faire une pose en bordure d'une cocoteraie. Deux d'entre eux grimpent alors comme des singes sur le tronc dépourvu de branches jusqu'au sommet d'un arbre. Ils m'incitent à essayer aussi comme pour la tour. Mais c'est impossible pour moi, il me faut des appuis pour les pieds et de bonnes prises pour les mains si je veux grimper sur quelque chose.

Le petit Joseph a même réussi à dénicher un corossol dont la maturité était parfaite

Nous n'en avions plus mangé depuis les Caraïbes

     
  Le plus beau cadeau que nous pouvions faire à nos petits guides, c'est de les inviter à venir sur le Banik.
Nicholson s'est mis à la barre, Joseph et les autres voulaient essayer aussi.
Ils ont fini par tous faire le tour du pont mais ce n'était pas pour regarder les détails du gréement. Il sifflaient et faisaient des signes aux autres sur la plage…Qu'est ce qu'ils étaient fiers... Ils en auraient des choses à raconter.
     
En fait, nous nous sommes rendu compte plus tard que dans ce village nous serons pratiquement toujours restés avec le même groupe d'enfants que le chef nous avait assigné. Ils nous ont accueillis, guidés, nourris... Toujours avec d'énormes sourires, aussi curieux de nous que nous l'étions d'eux.
A par eux et le chef, dans notre souvenir, il y a quelques vieilles personnes. Les adultes valides devaient être fort occupés dans les jardins alentours et n'ont pas marqué notre mémoire.

 

 

C'est le jour du départ et nous réalisons les dernières photos d'adieux. Il y a toujours plein de sourires mais nous les sentons vraiment teintés d'un peu de tristesse. Nos dernières paroles à leur intention aussi...

 

 

Textes et photos : Anik et Jean-Baptiste

         
   
Anik Delannoy   Jean-Baptiste Delannoy   Geneviève Liquière

Après la promenade sur l'île, rafraichissement avec les fruits qu'on nous a donnés: oranges, bananes, noix de coco...

     

Les photos marquées par (*) sont de Geneviève  qui a été équipière sur Banik en 2010 de Nouméa en Nouvelle Calédonie jusque Darwin en Australie.

 

 

 

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