Tanna, Ile éprise de
liberté où les hommes parlent directement aux Dieux et où la Coutume
a encore plus de poids que les feuilletons à la télévision.
Tanna l'île libre,
d'autres l'appellent la rebelle.
Introduction:
Nous vous invitons à monter sur la petite colline qui domine la baie de Port Résolution du coté du village du même nom. C'est là que les Ni-vans ont aménagé à notre intention "le yacht club". Installez vous confortablement sur la terrasse d'un petit bungalow fort rustique mais avec une vue imprenable sur la baie. C'est dans cette baie que vinrent mouiller les premiers blancs qui "envahirent" Tanna. Vous êtes bien ? alors lisez la suite. Voici un texte extrait des premières pages du livre "La dernière île" aux éditions Arléa Diffusion Le Seuil en 1986. L'auteur, Joël Bonnemaison a vécu plus de 10 ans au Vanuatu. C'est la meilleure introduction que nous puissions mettre pour comprendre un peu Tanna et ses habitants. Lors des premiers contacts avec le monde blanc, un immense problème se posa aux peuples insulaires du Pacifique. Devaient-ils emprunter la « route des Blancs », adhérer à la foi de leurs missionnaires et adopter leur modèle de conduite et de société, ou bien à l’inverse, devaient-ils refuser ce message, ce nouveau type de pouvoir, et chercher plutôt en eux-mêmes et dans leur propre univers culturel les secrets de la puissance du monde à venir ? Pour répondre à cette question, les Mélanésiens de l’archipel de Vanuatu décidèrent d’envoyer des messagers secrètement investis d’une mission : visiter l’univers des Blancs, le connaître, le comprendre, le juger. De leur réponse dépendrait la conduite à tenir. Bien avant que l’Europe n’envoie ses premiers ethnologues vers le monde « sauvage », les « sauvages » eux aussi déléguèrent certains des leurs à la découverte du mode dit « civilisé ». Leur but n’était pas d’écrire des thèses ou de vérifier une théorie sociale mais de trouver une solution aux vastes questions que suscitait le contact blanc. Il s’agissait de trouver une nouvelle route pour le destin des îles noires. Les messagers ne laissèrent pas des livres mais énoncèrent un message qui prit souvent la forme du mythe. Ce « message » est peu connu : il prend à rebours l’image que nous nous faisons du contact entre l’Europe et les peuples du Pacifique. Dans ce message, ce n’est pas la société « sauvage » des Mélanésiens qui est hors des normes, c’est au contraire la société moderne blanche qui est exotique. Elle posait par son étrangeté même un formidable problème à la société locale. Les Kanakas (signifie en langue océanienne « hommes »), comme on appela alors les Mélanésiens qui revenaient de ce voyage, tirèrent la conclusion que les Blancs détenaient des secrets supérieurs. Pour les partager, il fallait entrer dans leur univers, abandonner la coutume mélanésienne et bâtir, avec leur aide une nouvelle société. Les Kanakas opéraient là un choix délibéré en faveur du « progrès blanc »; ils choisissaient l’Occident et la foi des missionnaires chrétiens comme la meilleure des routes pour arriver à la nouvelle société dont-ils rêvaient. Leur espoir fut souvent déçu, mais ce choix initial et l’espoir quasi millénariste qu’il leva, furent intensément vécus dans toutes les îles de l’archipel. Il en reste aujourd’hui les fondements d’une foi chrétienne qui est générale dans l’archipel et aussi la volonté de modernité sociale et économique. Tanna fut l’une des rares îles où la séduction blanche n’opéra pas. Découverte par Cook en 1772, elle fut pourtant l’une des premières à entrer en contact avec le monde blanc : le choc des cultures fut violent, souvent tragique. Aventuriers de tout poil et missionnaires protestants se succédèrent sur les grèves tout au long du XIXème siècle. Des « Kanakas » partirent en nombre vers les plantations européennes d’Australie et servirent sur le pont des bateaux où ils s’engagèrent comme matelots. Le message que certains d’entre eux rapportèrent dans leur île fut singulier, au moins pour cette époque : le monde des Blancs, la société qu’ils avaient découverte, n’étaient pas le bon modèle. Seules la Coutume et les croyances de leurs ancêtres pouvaient offrir aux gens de l’île une solution au problème auquel ils étaient confrontés. Le message allait même plus loin : la modernité blanche détruisait la Coutume noire, elle était matériellement supérieure, mais spirituellement et moralement inférieure. C’est en maintenant cette Coutume et en lui redonnant une nouvelle force que les gens de Tanna retrouveraient leur dignité, leur puissance perdue et, tout autant, anticiperaient sur les pouvoirs et les secrets du monde à venir.
Et aujourd'hui: Au village de Port Résolution... Nous avons décrit dans le précédent cahier comment nous avons été accueillis par les habitants de Port Résolution qui ont pris plaisir à nous faire visiter leur village, le yacht club, les églises et écoles. Ils ont bien compris le système et comment arrondir les fins de mois en transportant les touristes dans leur pick-up ou en construisant des petits bungalows avec vue sur la mer. Alors, ce refus de la vie à l'occidental, comme en parlait Joël Bonnemaison il y a plus de 20 ans, est ce toujours la réalité ou "la dernière île" qui a résisté, a t-elle aussi baissé les bras devant les paillettes et les gadgets modernes. Dans le cahier 111, nous vous avions déjà parlé de notre rencontre avec Caroline du village de Résolution. Elle nous avait emmené au marché puis à la plage qui se situe de l'autre coté du village. Nous avions mangé au restaurant du lieu. Il y a une chose que nous ne vous avions pas dite. C'était la fin de l'après midi et Caroline nous demande de presser le pas pour aller à la plage car bientôt on ne pourra plus passer devant le nakamal qui est l’endroit où les hommes préparent et boivent le kava. C’est un endroit interdit aux femmes à l'heure du Kava. Elles n’ont même pas le droit de regarder de loin sous peine de se faire tabasser pour de bon. Un chemin de contournement existe s’il leur est vraiment nécessaire de rejoindre la plage qui se trouve de l’autre coté. Comme nous avons trainé, Caroline nous fait emprunter ce chemin qui rallonge la distance car il passe assez loin
Quand j’en parle à Caroline, elle me répond, «Ca a toujours été comme ça, c’est dans notre Coutume, à Tanna le kava est tabou pour les femmes»… Alors si c’est la Coutume, ca ne se discute pas… Même au 21ème siècle…
+++ Au village de Spring Water... Sur la plage Sud de
la baie, nous rencontrons Catherine du village "Spring water"
Nous retournons vers la plage toujours maquillés de la terre du volcan. En chemin Catherine récupère les épis de maîs. Ils ont été cuits à point par l'eau chauffée par le volcan. Nous les partageons et les mangeons de suite ensemble. De retour à bord, nous ressentons des sentiments partagés, nous sommes profondément marqués par notre éducation et nos connaissances rationnelles qui bloquent notre esprit empêchant l'écoute d'autres esprits. Et en même temps on a envie de se laisser emporter dans cet autre monde ou une jeune femme parle avec son Dieu volcan Yasur. C'est le chef du
village de "Spring water" qui est le plus initié pour écouter le volcan.
C'est lui
qui donne l'autorisation aux autres habitants, quelque soit leur
village, mais aussi par voix de conséquence, aux tour-opérateurs et
aux touristes pour escalader le volcan et se promener autour du cratère du Yasur.
Il est surement aussi doué que les volcanologues pour anticiper les
humeurs du géant. Et quand il y a danger, personne n'a le droit d'y
aller. Il y a
parfois de longs mois durant lesquels l'accès au volcan, trop actif,
est interdit au public. En ce moment le volcan est très actif mais
son accès est possible.
Derniers sursauts de rébellion de Tanna :
Mais les habitants de Tanna ne l'entendirent pas ainsi et ils lancèrent une révolte sécessionniste (Normal, voila encore un beau prétexte). Révolte étouffée dans le sang avec l'aide de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et de l'Australie. Depuis l'île de Tanna et tout le
pays vivent dans la paix au rythme des alizés et des récoltes
d'ignames...
Ce que nous en pensons... Depuis l'envoie des observateurs pour étudier le monde occidental ca résiste encore un peu à Tanna mais les échanges entre les iles et le tourisme tendent à amoindrir la tradition… Depuis l'époque des découvreurs sans scrupules il y a eu une moralisation des pays coloniaux et l'indépendance, il y a eu l'évolution de la médecine moderne qui arrive jusqu'ici et qui est quasi magique pour qui n'a pas eu notre éducation, l'extension des moyens de communications qui apporte des touristes, le retour des nombreux expatriés qui veulent reproduire chez eux le confort qu'ils avaient ailleurs etc... Même si à Tanna les habitants ont encore la "Coutume dure" avec ses règles traditionnelles très fortes comme nous venons de le voir avec l'interdiction du kava aux femmes, petit à petit le mode de vie ancestrale se dilue dans la modernité. les gestes coutumiers se perdent ou bien ne sont plus entretenues que pour le folklore... C'est inévitable.
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